Hamster Jovial & Gotlib en 1973
Le personnage d'Hamster Jovial a été créé fin
1971 par Marcel Gotlib pour répondre à une demande de Philippe Koechlin,
rédacteur en chef du magazine de musique Rock&Folk qui souhaitait
agrémenter son mensuel d’une page récurrente de l’un de ses auteurs favoris.
« Comment peut-on comprendre la vie
sans avoir lu les œuvres complètes de Gotlib, je vous le demande ? »* avait-il publié dans son magazine avant de prendre contact avec l’auteur pour
une collaboration qui s’étendra finalement sur plus de deux années (du n°59 daté de Décembre 1971 au n°89 daté de Juin 1974)
Pilote et ses limites
Pilote et ses limites
En 1971 Gotlib est donc déjà une vedette de la BD et une pièce maîtresse du magazine Pilote dans lequel il a successivement illustré les « Dingodossiers »
de Goscinny puis ses propres « Rubriques à Brac ». Mais Gotlib, dans
la foulée de Mai 68, a envie d’aller plus loin, de s’affranchir des limites imposées
aux artistes qui publient des bandes dessinées à destination de la jeunesse. Il
a envie de « se marrer » tout simplement, de bousculer la bien-pensance
comme le fait en chansons, et avec brio, son idole de toujours Georges
Brassens.
Poussant le bouchon aussi loin qu'il peut, il flirt alors régulièrement avec les limites de la censure. En juin 1970 il publie le succulent épisode « L’Enfant Sauvage » dans lequel le professeur Itard confie le jeune sauvageon Victor aux bons soins de « la bonne madame Guérin » afin de déterminer « s’il possède, encré en lui, le sentiment d’amour filial ».
En guise d’amour filial, Victor poursuivra la bonne madame Guérin de ses assiduités bestiales et plus certainement lubriques que filiales faisant dire à un professeur déconfit : « sur le plan de l’amour filial, les réactions de Victor n’ont pratiquement plus rien d’humain ». Dans cette courte scène de 5 cases, les mimiques des protagonistes, en total décalage du texte, associées au renversement de situation propre à Gotlib sont exceptionnels de drôlerie et d’efficacité mais ne s’adressent certainement plus à un publique d’enfants.
Jouant toujours un peu plus avec les limites du publiable, Gotlib se verra finalement refuser une histoire par Goscinny en Juillet 1971. Il a maintenant exploré toutes les limites du tolérable du magazine Pilote, il va lui falloir trouver d’autres supports pour aller plus loin.
Poussant le bouchon aussi loin qu'il peut, il flirt alors régulièrement avec les limites de la censure. En juin 1970 il publie le succulent épisode « L’Enfant Sauvage » dans lequel le professeur Itard confie le jeune sauvageon Victor aux bons soins de « la bonne madame Guérin » afin de déterminer « s’il possède, encré en lui, le sentiment d’amour filial ».
En guise d’amour filial, Victor poursuivra la bonne madame Guérin de ses assiduités bestiales et plus certainement lubriques que filiales faisant dire à un professeur déconfit : « sur le plan de l’amour filial, les réactions de Victor n’ont pratiquement plus rien d’humain ». Dans cette courte scène de 5 cases, les mimiques des protagonistes, en total décalage du texte, associées au renversement de situation propre à Gotlib sont exceptionnels de drôlerie et d’efficacité mais ne s’adressent certainement plus à un publique d’enfants.
Jouant toujours un peu plus avec les limites du publiable, Gotlib se verra finalement refuser une histoire par Goscinny en Juillet 1971. Il a maintenant exploré toutes les limites du tolérable du magazine Pilote, il va lui falloir trouver d’autres supports pour aller plus loin.
Rock&Folk : Une vanne s'ouvre
Fin 1971, l’offre de collaboration de Rock&Folk tombe à point nommé et Gotlib va enfin pouvoir envisager de dépasser les bornes grâce à son improbable et dégingandé personnage d’Hamster Jovial, chef scout totalement hors sujet dans un magazine intellectualisant à l’extrême les phénomènes musicaux de l’époque.
Fin 1971, l’offre de collaboration de Rock&Folk tombe à point nommé et Gotlib va enfin pouvoir envisager de dépasser les bornes grâce à son improbable et dégingandé personnage d’Hamster Jovial, chef scout totalement hors sujet dans un magazine intellectualisant à l’extrême les phénomènes musicaux de l’époque.
Gotlib est lecteur de Rock&Folk, gratte un peu de
guitare «…mais à part une réelle
inclination, je suis loin d’être un spécialiste. Que pourrais-je bien raconter
pour ne pas avoir l’air d’un con ? Poursuivant ce raisonnement auto-dépréciatif, je décidai de raconter
chaque mois les mésaventures d’un mec, paumé dans les pages de cette revue, et
qui ne connait rien, ni au rock, ni au folk. Il fallait en plus que le
personnage ait une âme d’enseignant. En cadeau bonus sans lequel rien ne pourrait
être possible : ce sera, en plus, un grand con. Et re-cadeau bonus, ce
sera un scout. Je ne sais pas pourquoi mais un grand con tout seul ça fait 1.
Un scout tout seul ça fait également 1. Mais un grand con plus un scout ça ne
fait pas 2 car la croissance est exponentielle. C’est une loi
mathématique !»*
Premiers pas
Les débuts d’Hamster Jovial sont plutôt gentillets. Le chef scout tente, de réinterpréter une chansonnette « Flamme Pure » à la mode d’une star de l’époque (Ian Anderson) devant un public de 3 jeunes louveteaux (deux garçons et une fille) encore bien sages. Si ce premier gag est encore très "Pilote compatible" (l'humour peut-être en moins), il plante néanmoins le décor du "running gag" de l'album. Dans le deuxième épisode Hamster réinterprète Joe Cocker mais ses louveteaux commencent à donner des signes de désintérêt et se bécotent même ostensiblement en second plan... signe avant coureur de ce qui suivra. Dans les troisième et quatrième gags, Gotlib fait sauter une nouvelle barrière, il va montrer et parler de sexe. Tout d'abord il dessine un Hamster Jovial totalement nu, dépouillé par ses ouailles en transe devant ses gesticulations et son short moulant...Puis, le mois suivant, Hamster Jovial, seul cette fois-ci, découvre (à l'aide d'un dictionnaire tout de même) la signification du titre "Penis Dimension" de Frank Zappa. Interloqué, il sort alors une impressionnante règle graduée pour se lancer dans une mesure, hors champ, de son appendice dont le résultat s'avère évidemment ridicule. Réitérant l'exercice après avoir regardé un clip d'une plantureuse Tina Turner, la mesure a été décuplée laissant le chef scout totalement désemparé et concluant par un "La pop music, c'est bourré de contradictions". Sortis début 72, et bien qu'encore très sages et plutôt suggestifs, ces gags seraient peut-être les premiers gags réellement "réservés aux adultes" publiés par Gotlib. Après ces premiers galops d'essai, il va définitivement pouvoir se lâcher, utilisant son humour et son talent bousculant au passage les tabous du sexe et de la bien-pensance.
«Elvis, quel pied»
Le cinquième gag d'Hamster Jovial est un véritable must ! De plus en plus émancipé, Gotlib va retrouver sa verve graphique et créer un petit chef-d'oeuvre totalement iconoclaste, entremêlant bonhomie et immoralité jusqu'à satiété. En Mars 1972 (daté Avril) parait ainsi l’adaptation de « Flamme Pure » façon Elvis qui avait coutume d’embrasser ses fans pendant ses concerts. « Elvis quel pied ! » s’exclame le Jovial Hamster qui va rejouer la scène face à son publique de louveteaux toujours plus impudiques. En effet, dès la troisième case et alors que leur mentor requière leur attention, le petit blond, doigt dans le nez, lève un œil tout en laissant une main baladeuse sous la jupe de sa voisine qui, de son côté, embrasse consciencieusement le troisième petit larron...
Dès les premières mesures de "Flamme Pure", notre Hamster Jovial arrache la jeune louvette des courts bras de son jeune amant pour l’embrasser goulûment « SCHMLAACKK » avant de reprendre son couplet comme si de rien n’était et d’abandonner sa groupie encore toute émoustillée par ce qui vient de lui arriver. S’ensuit alors une succession de scènes plus improbables et déjantées les unes que les autres, l’outrance en rajoutant à l’outrance comme dans les meilleurs Tex Avery. Le jeune amant, pris d’une colère froide, se dirige lentement vers son mentor avant de lui décoller une droite éclaire d’un bras soudainement extensible. Dans la foulée de cet acte de rébellion caractérisé, la jeune louvette, contrariée, décroche à son tour une mémorable mandale à son camarade qui perd une molaire sous la violence du choc "uderzien". « Non mais de quoi je me mêle » assène-t-elle-même à son désormais ex Roméo et, contre toute les lois de la morale en vigueur, se jette à son tour au cou d’un chef soudainement totalement perdu en lui roulant une galoche accompagnée d’un vigoureux « MMMSCHLMMACKK » deux fois plus gros que le précédent. En dernière case c’est le pompon, le chef scout, décontenancé se retrouve avec une louvette ennamourachée sur les genoux lâchant un « Je me demande comment feu Baden Powell aurait pris ça » et les deux louveteaux, laissés à eux même terminent la scène sur un tendre « MSCHLMAACKK », aussi tendre qu’ostensiblement contre nature.
Les débuts d’Hamster Jovial sont plutôt gentillets. Le chef scout tente, de réinterpréter une chansonnette « Flamme Pure » à la mode d’une star de l’époque (Ian Anderson) devant un public de 3 jeunes louveteaux (deux garçons et une fille) encore bien sages. Si ce premier gag est encore très "Pilote compatible" (l'humour peut-être en moins), il plante néanmoins le décor du "running gag" de l'album. Dans le deuxième épisode Hamster réinterprète Joe Cocker mais ses louveteaux commencent à donner des signes de désintérêt et se bécotent même ostensiblement en second plan... signe avant coureur de ce qui suivra. Dans les troisième et quatrième gags, Gotlib fait sauter une nouvelle barrière, il va montrer et parler de sexe. Tout d'abord il dessine un Hamster Jovial totalement nu, dépouillé par ses ouailles en transe devant ses gesticulations et son short moulant...Puis, le mois suivant, Hamster Jovial, seul cette fois-ci, découvre (à l'aide d'un dictionnaire tout de même) la signification du titre "Penis Dimension" de Frank Zappa. Interloqué, il sort alors une impressionnante règle graduée pour se lancer dans une mesure, hors champ, de son appendice dont le résultat s'avère évidemment ridicule. Réitérant l'exercice après avoir regardé un clip d'une plantureuse Tina Turner, la mesure a été décuplée laissant le chef scout totalement désemparé et concluant par un "La pop music, c'est bourré de contradictions". Sortis début 72, et bien qu'encore très sages et plutôt suggestifs, ces gags seraient peut-être les premiers gags réellement "réservés aux adultes" publiés par Gotlib. Après ces premiers galops d'essai, il va définitivement pouvoir se lâcher, utilisant son humour et son talent bousculant au passage les tabous du sexe et de la bien-pensance.
«Elvis, quel pied»
Le cinquième gag d'Hamster Jovial est un véritable must ! De plus en plus émancipé, Gotlib va retrouver sa verve graphique et créer un petit chef-d'oeuvre totalement iconoclaste, entremêlant bonhomie et immoralité jusqu'à satiété. En Mars 1972 (daté Avril) parait ainsi l’adaptation de « Flamme Pure » façon Elvis qui avait coutume d’embrasser ses fans pendant ses concerts. « Elvis quel pied ! » s’exclame le Jovial Hamster qui va rejouer la scène face à son publique de louveteaux toujours plus impudiques. En effet, dès la troisième case et alors que leur mentor requière leur attention, le petit blond, doigt dans le nez, lève un œil tout en laissant une main baladeuse sous la jupe de sa voisine qui, de son côté, embrasse consciencieusement le troisième petit larron...
Dès les premières mesures de "Flamme Pure", notre Hamster Jovial arrache la jeune louvette des courts bras de son jeune amant pour l’embrasser goulûment « SCHMLAACKK » avant de reprendre son couplet comme si de rien n’était et d’abandonner sa groupie encore toute émoustillée par ce qui vient de lui arriver. S’ensuit alors une succession de scènes plus improbables et déjantées les unes que les autres, l’outrance en rajoutant à l’outrance comme dans les meilleurs Tex Avery. Le jeune amant, pris d’une colère froide, se dirige lentement vers son mentor avant de lui décoller une droite éclaire d’un bras soudainement extensible. Dans la foulée de cet acte de rébellion caractérisé, la jeune louvette, contrariée, décroche à son tour une mémorable mandale à son camarade qui perd une molaire sous la violence du choc "uderzien". « Non mais de quoi je me mêle » assène-t-elle-même à son désormais ex Roméo et, contre toute les lois de la morale en vigueur, se jette à son tour au cou d’un chef soudainement totalement perdu en lui roulant une galoche accompagnée d’un vigoureux « MMMSCHLMMACKK » deux fois plus gros que le précédent. En dernière case c’est le pompon, le chef scout, décontenancé se retrouve avec une louvette ennamourachée sur les genoux lâchant un « Je me demande comment feu Baden Powell aurait pris ça » et les deux louveteaux, laissés à eux même terminent la scène sur un tendre « MSCHLMAACKK », aussi tendre qu’ostensiblement contre nature.
Alors que l’on tombait de Charybde en Scylla, que la morale et la bienséance étaient jubilatoirement piétinées, laissant le lecteur sous le choc de tant d’audaces, un étrange animal, peu familier des abonnés de Rock&Folk faisait une première et dernière apparition dans le magazine. La coccinelle des RAB, conscience de l’auteur, venait ainsi apporter une conclusion qui pourrait traverser l’esprit de tout lecteur de Pilote « Merde, je me suis gourré de canard ».
Et, de fait, le Rubicon était franchi et ces premières pages irrévérencieuses et outrancières d’Hamster Jovial marqueront l’envol définitif d’un Gotlib s’éloignant irrémédiablement de l’univers corseté de Pilote et de son mentor adoré Goscinny. Le mois suivant sortira le premier numéro de L’Echo des Savanes, le fanzine « réservé aux adultes » concocté en catimini par Mandryka, Gotlib et Bretecher, tous trois transfuges de Pilote en quête de liberté d'expression.
Hamster Jovial - Vannes grandes ouvertes
En parallèle de L’Echo, Gotlib continuera pendant encore deux ans à faire évoluer son Hamster Jovial pour le plus grand plaisir des lecteurs de Rock&Folk. « Sa page était très appréciée par les lecteurs même si elle se foutait parfois ouvertement de la pop music. Ils se marraient entre deux articles sur les Stones et Led Zeppelin, à qui l’on consacrait des articles sérieux et pompeux, comme on savait en écrire à l’époque sur la musique qui nous passionnait »*.
Parmi la trentaine de pages publiées on notera quelques planches cultes comme celle de la banque de sperme dans laquelle Hamster Jovial accompagne l'un de ses louveteaux et ressort humilié, sa production de semence étant insignifiante par rapport au sceau rempli à ras bord par le gamin (à noter l'extraordinaire second rôle dévolu à la tenancière de l'établissement... impayable).
Le gag suivant est beaucoup plus verbeux, et pour cause, Gotlib y décline la quasi intégralité de la chanson "Ils ont des chapeaux ronds, vive la Bretagne". Hamster Jovial a en effet laissé carte blanche à ses louveteaux pour rendre hommage à la culture Celte devant l'un de ses représentants. La succession de mimiques au fur et à mesure que les enfants enfilent les couplets paillards est un festival de drôlerie.
Dans cette autre page, la jeune louvette déploie toute sa verve pour se faire faire un enfant par Hamster Jovial qui, peinant à reprendre ses esprits, l’éconduit avec tact et délicatesse. S’en suit un échange désarmant entre la louvette et son petit camarade de jeux qui s’avère l’avoir déjà mise enceinte et tous deux comptaient sur le stratagème pour faire endosser la paternité à leur chef...
Enfin, la dernière histoire d'Hamster Jovial sortira en Mai 74 (daté Juin). Dans cet ultime épisode Gotlib règle ses comptes avec la critique puis fini par massacrer Hamster Jovial. Cet épilogue met fin définitivement à la série qui ne comportera donc, en tout et pour tout, que 28 gags et quelques illustrations.
Hamster Jovial - Un formidable témoin de son temps
Cette période 72-74 est ainsi une exceptionnelle période de transition pour Gotlib. Après des années chez le corseté Pilote, en même temps qu'il crée L'Echo des Savanes et juste avant de lancer son Fluide Glacial, il est certainement au sommet de son art. Les aventures d'Hamster Jovial tombent à pic pour lui permettre de se lâcher, de parler de sexe et de caricaturer à outrance l'opposition/ l'incompréhension/ l'incompatibilité des générations de l’immédiat après 68, voir même de dire n'importe quoi. Les enfants ne sont pas ou plus tout à fait des enfants, l’égalité des sexes est avérée, la liberté sexuelle est une réalité de tous les instants et l’adulte "has been", malgré sa stature, son uniforme ou son envie d’être moderne, est tout sauf un modèle à suivre. Si les gags sont in fine assez inégaux, si certaines références à des artistes apparaissent un peu datées, il n'en reste pas moins que ces brèves aventures regorgent de pépites iconoclastes et ébouriffantes qui ne manqueront pas, aujourd'hui encore, de choquer le bien-pensant à la lecture superficielle mais aussi de ravir l'esprit libre qui saura se délecter de ce mélange rare d'irrévérence et de talent.
Aller plus loin
Pour plus d'info je vous invite, bien évidemment, à lire ou relire et décortiquer Hamster Jovial et éventuellement *"Ma Vie-En-Vrac" de Gilles Verlant sur Gotlib dont sont tirées les citations de cet article. De mon côté je vais continuer à creuser le sujet en essayant de voir qui se cache possiblement derrière le personnage d'Hamster Jovial dont on retrouve peut-être les origines ... dans une émission radio... à suivre!
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