Hamster Jovial c'est moi !
Dans son livre « Ma Vie En vrac », Gilles Verlant relève cette
phase de Gotlib « Hamster Jovial c’est moi ». Alors que je
finissais mes premières recherches sur Hamster Jovial, cette assertion un peu
rapide et non argumentée m'a laissé pantois et a éveillé ma curiosité! Il est
vrai que Marcel, tout comme Hamster Jovial, joue de la guitare. Tous deux sont
aussi passionnés par le Rock et le Folk sans être certainement capable de
transmettre le moindre savoir sur le sujet. Mais tout cela est un peu maigre.
D'autant plus que Gotlib aime bien se mettre en scène pour se moquer de
lui-même comme il le fait régulièrement dans les RAB… pourquoi n’aurait-il donc
pas utilisé sa propre image dans Rock&Folk au lieu de faire appel à un
personnage tiers ? Si ce n’est Gotlib lui-même, qui pourrait donc se
cacher derrière l’improbable chef Scout ? D’où sort ce volontariste
« paumé », doté d’une indéfectible «âme d’enseignant » et aussi
passionné qu’inadapté à son environnement ? Ayant ma propre petite idée derrière la tête, et faute de trouver d'information documentée sur le sujet, je décidais de creuser la question...
Gotlib et les Scouts
En découvrant Hamster Jovial, je me suis immédiatement demandé si Marcel
Gotlib avait eu une expérience quelconque avec le mouvement scout… et la réponse
est définitive : non ! Pas tout à fait définitive en fait car le
jeune Marcel, à 18 ans, avait rejoint une troupe scoute parisienne pour faire
du théâtre, mais point de camp scout ni d’engagement quelconque. D’ailleurs
Marcel n’est pas un engagé, ni politique ni associatif, c’est plutôt un
observateur et sur le scoutisme, il est très clair : il n’aime pas … euh,
pas du tout !
Christiane Favrat : « Est-ce que toi aussi tu as fait partie
d’un mouvement de jeunes comme les éclaireurs ou les scouts ? »
Gotlib : « Non, j’aime pas … euh, j’aime pas du tout… pas du
tout la notion même de scoutisme. Bah je suis contre le scoutisme parce qu'il y
a un arrière-plan de casernement et de lois et de règles très strictes de
bonnes actions et de BAs qui sont de mauvaises actions et tout… que la
culpabilisation dès le départ avec les badges… En fait le scoutisme il faut pas
oublier que ça a son origine dans la guerre puisque c’est Baden Powell… c’était
une troupe militaire au départ les scouts je crois, au moment de la guerre de
Boers. »
Christiane Favrat et Gotlib - 1973 |
Interview
complète ici : www.ina.fr/video/CPF86620228
Dans cet interview, qui date de 1973, Gotlib répond spontanément à une
question impromptue, et marque à la fois son côté assez indépendant et son
rejet de l’embrigadement et du militarisme. Cette position pacifiste, ou
antimilitariste, est alors très répandue, et peut-être même majoritaire en
France dans la génération de Baby-Boomers. Gotlib, de son côté, a subi de plein
fouet la seconde guerre mondiale, portant l’étoile jaune à Paris, voyant son
père déporté par la police française (et ne pas revenir) et étant obligé, à 8
ans, de se cacher dans une ferme normande, on comprend donc d’autant mieux ses
réserves sur le sujet.
Marcel a donc une vision très claire du scoutisme mais n’a jamais croisé de
« vrai » chef scout qui l’eut marqué au point de vouloir en faire une
Joviale tête de turc. L’Origine de notre Hamster est donc à chercher ailleurs.
Regardons donc du côté de son histoire plus récente, notamment dans ses
dernières années Pilote, et plus particulièrement avant 1972, date du premier
gag publié dans Rock & Folk.
Hamster Jovial avant Hamster Jovial :
Gotlib n’a publié que deux gags sur le sujet du scoutisme dans ses RABs ;
le premier en Septembre 70 et le second en Janvier 71. (Je remercie au passage,
le site « Matin Quel Forum » pour la mise à
disposition des visuels dans leur ordre de parution !)
Celui de 1971, intitulé «Secourisme» lors de sa publication en album (RAB
Tome 4), ne va pas nous apporter beaucoup d’information. Tout juste
faisons-nous face à un ton toujours plus « grinçant » comme dans
cette saynète où un scout apporte une aide morale à un camarde « blessé au
fond de son âme » en lui nouant une corde pour … se pendre (Pilote N°583
du 7 Janvier 1971 ici). Gotlib ira d’ailleurs
plus loin sur ce thème dans Hamster Jovial, le grand dadais passant carrément à
l’acte dans l’indifférence la plus totale de ses louveteaux.
Hamster Jovial 1974 |
Par contre, le premier gag sur le scoutisme, publié dans Pilote N°568 du 24
sept 1970, se révèle être beaucoup plus riche d’informations !!!
Intermède ludique :
Je vous propose de passer 2 minutes pour relire ces deux planches avec
l’œil aiguisé d’un Bougret en quête d’indices sur les origines d’Hamster Jovial
!
Gag 548 - Page 1 |
Gag 548 - Page 2 |
Evidemment, lorsque l’on s’intéresse à la genèse d’Hamster Jovial, ce qui saute aux yeux dans cette histoire c’est la première apparition publique, et bien discrète, d’un certain « Hamster Jovial ». Dans l’avant dernier strip de la seconde page ledit Hamster Jovial s’adonne, devant une troupe en délire, à un magnifique mime d’haltérophile qui lui vaut « un franc succès à chaque feu de camp où je le présente ».
Gag 548 - Un certain hamster Jovial |
Bougret et Charolles dubitatifs |
Remontons à nouveau le temps de quelques mois pour découvrir cet épisode radiophonique
qui semble être lié à la naissance d’Hamster Jovial.
Le Feu de Camp du Dimanche Matin
En 1969 l’hebdomadaire Pilote est à son zénith et Lucien Morisse, patron
d’Europe1, propose à Goscinny, rédacteur en chef du magazine, d’animer une
émission humoristique sur un créneau matinal de 11h30 à 13h00 tous les
Dimanche. Ce dernier accepte et va sélectionner, trois auteurs maison Gotlib,
Fred et Gébé pour réaliser et animer cette émission et qui s’appellera donc
« Le Feu de Camp du Dimanche Matin » sous-titrée « Nous on fait
de la radio parce que ça nous repose les yeux ».
Le Feu De Camp présenté par Gotlib |
Beaucoup de choses ont été dites sur cette émission de radio qui pourtant, faute d’audience, n’a duré que très peu de temps, d’Octobre à Décembre 1969. On a essentiellement retenu la naissance des aventures de Bougret et Charolles qui seront reprises par Gotlib dans Pilote, mais cette émission de radio est aussi très représentative de la manière dont fonctionne un Goscinny en meneur d’homme volontariste mais aussi capable d’entraîner sa troupe dans le mur en essayant de coller à son temps. A propos de « meneur d’homme volontariste », voici d’ailleurs un propos de Claire Bretécher évoquant les réunions de Pilote : « Ça me rappelait les interros écrites au lycée, avec Goscinny dans le rôle du prof, contraint de jouer les meneurs d’hommes face à une bande de feignants » (source MVEV p 94)
Et voici Gotlib répondant à une question dans L’Express au sujet de
cette émission: « Il nous avait demandé, à Fred, Gébé et moi, d'y
participer. On allait chez lui une fois par semaine avec des tas d'idées dans
notre cartable. C'était comme les réunions de Pilote: il prenait des notes puis
distribuait les travaux. Chacun était censé écrire son sketch. »
Plein de bonne volonté et d’entrain, Goscinny ne va cependant pas s’apercevoir
que la prestation de sa troupe n’est pas tout à fait au niveau attendu. Voici
un témoignage audio de Gotlib tiré de l’émission « Profil Perdu »
dédiée à Goscinny :
Petit extrait dactylographié pour les malentendants : « On s’est bien marré, on regrette pas… On était là au passage et ont était
censé faire les rigolos directement à l’antenne, tout ça… ça devenait une
cacophonie parce qu’on parlait les uns sur les autres sans le faire exprès,
euh, enfin, on se rendait pas compte quoi … et puis ça fait qu’au bout de 13
émissions, et d’ailleurs je me souviens très bien qu’on était chez lui (Goscinny)
en train de travailler (rire) sur la quatorzième quand il a reçu un coup de fil
de Lucien Morisse qui lui a dit que ça s’arrêtait. Il est revenu il était en
colère « c’est tous des cons … ils comprennent rien » moi je crois
que c’était parfaitement justifié mais faut pas le dire (rire) »
L’émission fera donc long feu mais restera une expérience marquante pour
les protagonistes, et notamment pour Gotlib qui mentionnera plusieurs fois
« Le Feu de Camp du Dimanche Matin » dans ses gags de RAB, dont cette
fameuse planche sur les Scouts de St Cucufa.
Ô vous qu'attire notre flamme :
Cette émission était une parodie complète et assumée d’une soirée scoute
depuis son titre jusqu’à son organisation autour d’un chef d’orchestre dirigeant
son petit monde plus ou moins efficacement. Je vous laisse maintenant découvrir
un autre élément à charge… le générique de l’émission !
Gotlib à L’Express : « À l'époque, je grattouillais un peu la
guitare. Le générique de l'émission était une fausse chanson de scout, Gébé
avait écrit le texte et je l'avais mis en musique. On entendait des criquets,
c'était rigolo.»
A nouveau, une rapide retranscription des paroles
« Ô, vous qu’attire notre flamme
A nos voix, unissez vos voix
Le feu crépite et l’écho brame
Chantons plus fort et remettons du bois
Dans la clairière sous les étoiles
Loin de la ville et des humains
Il monte dans le ciel sans voile
Le feu de camp du dimanche matin.»
Ainsi, Goscinny fait-il entonner un générique typiquement
« scout » à ses trois jeunes dessinateurs. Difficile de ne pas faire
de rapprochements entre cette petite ritournelle et la célèbre « Flamme
Pure », running-gag et hymne qu’Hamster Jovial tentera d’inculquer, sous
diverse formes, à ses trois jeunes Louveteaux…
"Ô, vous qu'attire notre Flamme" en 69 & "Flamme pure et légère" en 74 |
En 69 Goscinny est déjà un rédacteur en chef en
total décalage de génération avec l’essentiel de ses dessinateurs qui,
pourtant, l’admirent et lui doivent tout mais veulent tout de même s’émanciper
dans la foulée des évènements de 68. Il faut dire que le personnage de
Goscinny est caricatural de rectitude, tant dans son style vestimentaire
costume 3 pièces, que dans son rapport aux autres qu’il vouvoie ostensiblement
et dirige de manière paternaliste.
Qui se cache donc derrière l’improbable chef Scout Hamster
Jovial imaginé par Gotlib début 72 ? Je rajouterais à cette question
d’introduction : qui sont ces Louveteaux qui cachent, derrière des mines à
priori dociles et juvéniles, des pulsions incontrôlables et une maturité
improbable ?
Mandryka, Bretécher & Gotlib , intenables pour Pilote |
Evidemment à ces questions il est difficile de ne pas répondre qu’une
certaine facette de Goscinny habite notre Hamster Jovial et que tous ses
garnements d’auteurs, reconnaissants mais en mal d’émancipation, seraient
représentés par ces trois jeunes Louveteaux qui le rendent complètement fou.
Rappelons-nous que la parution du premier gag d’Hamster Jovial a lieu juste
après que Gotlib ait essuyé sa première censure de la part de Goscinny et juste
avant qu’il ne participe au lancement du magazine « pour adultes »
L’Echo des Savanes. Gotlib étouffe sous la houlette de son mentor, il utilisera
plusieurs fois l’image de la cocotte-minute portée à ébullition, dont le
sifflet est bouché, et prête à exploser. Malgré son attachement à Goscinny,
Gotlib va devoir entrer dans la transgression pour « couper le
cordon » et laisser enfin libre cours à ses envies créatrices. Et quelle
plus belle et douce transgression que d’emmener son mentor sur des terrains
qu’il abhorre, le parodiant gentiment dans des situations burlesques où sa
rigidité et son volontarisme inadapté se heurtent de plein fouet à un
environnement libertaire et expurgé du moindre tabou. En ressortant de ses
tiroirs un Hamster Jovial né dans la foulée de l’émission « Le Feu de Camp
du Dimanche Matin », et en l’affublant d’un statut de « chef »
inapte et d'une parodie de chanson scoute, nul doute que Gotlib sait qu’il va
toucher Goscinny et que «toute ressemblance avec des personnes ou des
situations existantes ou ayant existé » … ne saurait être totalement fortuite!
En Décembre 71 le premier coup part, encore gentil, suivit d’autres gags de
plus en plus outrés mais qui seront vite submergés par la vague de créativité
et de notoriété de l’Echo des Savanes. A la surprise de Gotlib, qui ne le
souhaitait pas, le cordon va se trancher de manière définitive et il est même
probable que, tel Brutus, le fils adoré ait pleinement participé à « tuer
le père » car Goscinny ne s’en remettra jamais vraiment. Le magazine Pilote va lentement péricliter, ils ne se
parleront presque plus et Goscinny disparaîtra en 1977 sans que Gotlib
n’ai réussi à rétablir de lien.
Gotlib ne s’est finalement jamais trop épanché sur l’aventure Hamster
Jovial et, en prétendant être lui-même le modèle ayant inspiré le chef scout,
il est probable qu’il tente de botter en touche sur le sujet … et peut-être
d’éviter de culpabiliser outre-mesure. Mais si quiconque a des informations
complémentaires à partager, n’hésitez pas à me le faire savoir, je serai ravi
de compléter cette courte réflexion, qui ne vaut que ce qu’elle vaut !
Epatant ! Il y a beaucoup à dire...
RépondreSupprimerConcernant les scouts, il y a une autre piste : dans ses premières planches pour Vaillant ("Nanar, Jujube et Piette"), Marcel caricaturait déjà en 1964 l'équivalent scout des communistes, qui étaient les "Vaillants et Vaillantes", et qu'on voit dans la forêt, dans plusieurs gags. Quant à son rapport à la musique pop, il était ancien et très paradoxal : en 2013, il aimait toujours Captain Beefheart, par exemple ! Et était toujours aussi raide dingue des Beatles... qu'il continuait de regretter avoir découverts trop tard ! (il ne s'y était intéressé vraiment qu'à partir de 1968 et avait acheté et dévoré alors toute leur discographie à rebours, et n'avait rien raté ensuite de leurs disques en groupe et en solo). Extrait ici :
https://vimeo.com/217379035/2e1e8410e7
Très chouette, votre site, en tous cas ! :-)
Amitiés, J-L
excellents articles sur le personnage. merci !
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